« Jazz en Tête », la révérence audacieuse d’un festival inspiré
Écrit par Eitel Basile Ngangue Ebelle | E.B.N.E sur 23 novembre 2024
Aux côtés de Louis Armstrong, Count Basie ou Ella Fitzgerald, Eddie « Lockjaw » Davis a été un accompagnateur fougueux dont la sensibilité jazz au saxophone continue d’être étudiée au XXIè siècle. Son homologue, James Carter, se plaît à interpréter ses œuvres depuis quelques mois sur les scènes internationales. Le 23 octobre 2024, il rendait hommage à son aîné lors du festival « Jazz en Tête » à Clermont-Ferrand.
James Carter accorde beaucoup d’importance à la préservation du patrimoine. Dans le passé, il s’était déjà intéressé aux répertoires de ses aînés. Ses hommages à Django Reinhardt et à Billie Holiday avaient fait sensation et l’avaient hissé au rang des grands instrumentistes de notre temps. Depuis qu’il a accepté le rôle informel de conseiller culturel du « Minton’s Playhouse », un historique club de New York où se produisirent les plus grands noms du jazz, il s’est mis en tête de célébrer l’un de ses mentors, le regretté Eddie Lockjaw Davis, qu’il croisa furtivement en 1985. Il a, depuis cette date, conservé dans l’oreille l’âpreté délicieuse de ce swinguant virtuose qu’il veut honorer en lui dédiant un album. Faire vivre, au XXIè siècle, les œuvres d’autrefois en les actualisant est une manière de transmettre un savoir aux générations futures. James Carter en est convaincu !
« Je pense que le fait de m’appliquer à jouer ces répertoires m’impose de raconter une épopée et, d’une certaine manière, de m’improviser « historien ». Il faut sans cesse rappeler que nos aînés nous ont transmis un héritage toujours vivace aujourd’hui. Il est très important, à mes yeux, de répéter cela indéfiniment. Il faut leur rendre justice. Trop souvent, leurs noms disparaissent dans les oubliettes de l’histoire. On ne peut pas se contenter de quelques traces discographiques succinctes alors que le patrimoine de nos aînés est si imposant. Si les jeunes aujourd’hui n’ont pas la possibilité de découvrir par eux-mêmes le jazz d’hier, il faut que nous les incitions à s’y intéresser. Quand nous parlons de nos souvenirs de l’histoire du jazz, les jeunes ont le réflexe quasi-instantané d’aller sur Internet et de regarder sur YouTube les vidéos des artistes que nous évoquons. De mon temps, il fallait qu’une opportunité se présente pour que nous puissions assister à la projection d’archives sur grand écran. Nous n’avions pas immédiatement accès aux archives des grands noms du jazz. Il fallait attendre que le cinéma du quartier propose une projection spécifiquement consacrée à nos héros d’antan. Quand j’étais gamin, il fallait espérer tomber au hasard sur un programme jazz à la télévision. Et c’était très rare ! Aujourd’hui, il suffit de faire une requête sur Internet et vous pouvez voir tout ce que vous voulez ! Je pense que la jeune génération n’a pas conscience du privilège qui est le sien. Pour nous, regarder une vidéo d’un jazzman historique était unique. Il faut s’assurer que ce moment de la découverte reste un événement et ne soit pas banal aux yeux des jeunes spectateurs. (James Carter au micro de Joe Farmer)
James Carter a 55 ans. Il sait qu’il est au milieu du chemin qui le mènera à la respectabilité. Ses modèles ont suivi le même parcours, ont tâtonné, ont hésité, se sont interrogés et ont finalement brillé. Ses homologues saxophonistes lui ont donné des clés de compréhension qu’il doit choyer et perpétuer.
« Pour que les jeunes s’intéressent au patrimoine et se mettent autour d’une table pour en discuter, il faut donner de sa personne. C’est un enjeu essentiel. Il faut, au moins, leur dire que certaines personnalités ont existé. Libres à eux de relier les différents épisodes de ma narration en allant chercher, par eux-mêmes, d’autres documents. C’est ainsi que naît la curiosité. En les plongeant progressivement dans une quête personnelle, leur individualité se développera plus vite. Si certains d’entre eux envisagent de devenir musiciens, ils auront une identité artistique plus forte et solide. Ils comprendront ce que signifie : « se transcender ». Ils pourront plus facilement s’adresser au plus grand nombre. Ce n’est pas qu’une question de style musical. C’est un mode de vie, une attitude, l’expression d’un sentiment profond. Parfois, vous avez le blues, à un autre moment, vous êtes enthousiaste. Il faut savoir interpréter ces émotions et c’est ce que nous ont transmis nos aînés. Il ne faut pas hésiter à être soi-même et à inciter la jeune génération à s’exprimer librement. La musique est justement un très bon vecteur d’affirmation personnelle ». (James Carter sur RFI)
Le prochain album de James Carter sera enregistré au « Minton’s Playhouse » où, nous l’a-t-il assuré, il compte raviver l’esprit de son héros, Eddie « Lockjaw » Davis. Il nous donne rendez-vous en 2025 pour découvrir cette prestation nécessairement révérencieuse.
► Le site de James Carter.