Quelques bons souvenirs de 2024
Écrit par sur 28 décembre 2024
Ces douze derniers ont souvent été bousculés par une actualité trépidante. La musique a, une fois de plus, permis d’apaiser nos esprits, tourmentés par le tourbillon des événements mondiaux. Dans L’épopée, nous avons accueilli de nombreux artistes bien décidés à susciter la concorde entre les peuples à travers des mots choisis et des notes inspirantes. Toutes les générations ont pu s’exprimer en toute liberté.
L’année 2024 débuta avec un anniversaire… Un club de jazz historique, le Baiser Salé, fêtait ses 40 ans en présence de nombreux artistes dont Angélique Kidjo. La célèbre chanteuse béninoise était heureuse de se remémorer, sur notre antenne, ses premiers pas sur cette petite scène qui vit défiler, au fil des décennies, de nombreux jeunes talents devenus par la suite de véritables personnalités. Aux côtés de Maria Rodriguez, programmatrice de ce haut lieu multiculturel parisien, elle prit le temps de raviver notre mémoire. Angélique Kidjo est aujourd’hui une reine de l’art vocal, mais n’oublie pas les personnes qui ont accompagné son développement artistique.
Sa consœur, Lizz Wright, a pleinement conscience de l’absolue nécessité de célébrer le passé. Invitée en octobre 2024 sur nos ondes pour présenter son dernier album intitulé Shadow, la gracieuse chanteuse américaine nous fit quelques confidences sur son enfance et les enseignements qu’elle en tira : « Ma grand-mère, Martha, avait l’habitude d’aller prier au pied d’un arbre près de sa maison. C’est une image dont je me souviendrai longtemps. Mon père me racontait beaucoup d’histoires à ce sujet. Il y a dans le sud des États-Unis des contes et légendes qui entretiennent le mythe des ancêtres, qui décrivent le vent qui souffle, la pluie qui tombe, la nature qui s’épanouit. Je comprends aujourd’hui que ma grand-mère me montrait la voie à suivre et me faisait prendre conscience de la dureté de ce monde troublé. Elle m’a donné le courage de revendiquer ma place sur cette planète sans attendre que quelqu’un ne me l’octroie. Je veux être responsable de l’amour que je donne et ne pas être un étranger pour autrui. Voilà les belles valeurs que ma grand-mère m’a transmises. » (Lizz Wright sur RFI)
Il y a mille façons d’honorer nos aînés… Les écouter se raconter est une indéniable marque de respect. Lorsque le bluesman Bobby Rush (91 ans) nous accorda une rare interview en mars dernier, nous ne pouvions que boire ses paroles et savourer le plaisir d’entendre ce fringant nonagénaire évoquer les soubresauts, parfois pénibles, de sa destinée : « Je me souviens que, durant mes concerts dans le sud, je mettais mon autobus de tournée à disposition des marcheurs pour qu’ils puissent se rendre sans danger dans les bureaux de vote. En 1963, j’ai fait de même à Chicago, car les autorités s’étaient arrangées pour qu’aucune voiture appartenant à un Noir ne puisse se garer dans les quartiers réservés aux Blancs. J’ai cherché à contourner cet interdit, mais quelqu’un a mis le feu à mon bus. Je suis allé porter plainte au commissariat du coin et l’agent de police m’a carrément jeté dehors. Il m’a traité de « nègre » et m’a dit de rentrer chez moi. Mon fils était à mes côtés… Imaginez sa frayeur ! Aujourd’hui, on ne vous crache pas ouvertement à la figure, mais on vous dénie votre statut social. C’est aussi brutal psychologiquement. Par exemple, je n’ai toujours pas l’opportunité de me produire où je veux alors qu’un musicien blanc est accueilli avec les honneurs où que ce soit. Les artistes blancs gagnent beaucoup plus d’argent que les artistes noirs. Et je ne fais pas exception à la règle. Il nous reste notre modeste notoriété. Ce n’est pas grand-chose, mais c’est déjà ça. L’Amérique a changé, mais certaines attitudes sont restées les mêmes ». (Bobby Rush, le 07 mars 2024)
Le blues est certainement l’une des formes d’expression matrices de L’épopée des Musiques Noires. Il porte l’héritage africain de la culture mondiale. Tous les musiciens venus s’exprimer en 2024 sur nos ondes ont fait référence à ce patrimoine séculaire qui nourrit leur inspiration. Le jeune Jontavious Willis (28 ans) sait d’où il vient et ses œuvres sont l’écho révérencieux de traditions qu’il veut préserver. Seul, sa guitare à la main, il perpétue le message de ses aïeux et restitue l’esprit de la Géorgie, sa terre natale dans le sud des États-Unis. Son dernier album en date, West Georgia Blues, devrait être salué unanimement en 2025.
Les musiques africaines-américaines ont influencé de nombreux instrumentistes à travers la planète. En Angleterre, au cœur des années 60, quelques jeunes virtuoses inspirés avaient choisi de revitaliser le répertoire de leurs cousins d’Amérique. Le chanteur Ian Gillan, pilier du groupe Deep Purple, reconnaît humblement avoir été profondément marqué par le blues, le jazz et la soul-music, entendus durant sa prime jeunesse. Il accepta d’ailleurs, en juillet dernier, de nous faire part de son goût immodéré pour les archives sonores conservées outre-Atlantique : « N’oublions pas que cette musique est née dans le delta du Mississippi, puis est remontée vers Kansas City, Saint-Louis et enfin Chicago. En suivant ce long voyage temporel et géographique, vous pouvez ressentir l’évolution du blues. C’est ce que j’appelle le blues authentique. D’ailleurs, les ritournelles composées à l’époque sont des petits bijoux qui racontent l’histoire du peuple noir. Sur notre dernier album, vous remarquerez peut-être la chanson ‘A bit on the side’, c’est un titre très puissant dans lequel la section basse-batterie est imposante, mais si vous tendez l’oreille, vous entendrez une allusion au titre ‘Parchman Farm’ de Mose Allison. Curieusement, cela m’est revenu à l’esprit, car cette mélodie fait partie de mes années de jeunesse quand j’étais en plein apprentissage musical. Je me souviens de ces paroles très intenses que j’avais apprises par cœur. Au moment de l’enregistrement, je me disais : « D’où viennent ces mots qui me trottent dans la tête ? ». Ils étaient juste dans ma mémoire lointaine. Je pense donc avoir une préférence pour le blues des origines et même, le jazz des origines, celui des années 20 qui est beaucoup plus attractif que le be-bop des années 40. Il y a dans ces musiques une tonalité encore immature, presque adolescente, c’est l’expression naturelle d’un vécu souvent douloureux. Dans ce répertoire d’un autre temps, on évoque les troubles sociaux, les abus de pouvoir. Il faut d’ailleurs savoir déceler le message transmis par tous ces artistes afro-américains d’autrefois, car il y avait souvent une double signification. Si vous n’y prêtez pas attention, vous passerez à côté des messages que véhiculaient ces chansons. Les artistes noirs utilisaient des codes pour pouvoir exprimer leur mal-être sans que les Blancs ne s’en rendent compte. Tous ces gens étaient traités comme des animaux. Ce sentiment de désespoir a survécu à travers la musique et s’est retrouvé dans le blues de Chicago. Il est, certes, devenu plus commercial au fil du temps, mais le message d’origine est resté vivace, grâce notamment à B.B King et, bien entendu, Muddy Waters ». (Ian Gillan au micro de Joe Farmer)
L’année 2024 nous a permis de converser avec des interlocuteurs passionnants. Impossible de résumer douze mois d’échange et de partage enrichissants. Notons tout de même l’engagement individuel de toutes ces âmes sensibles capables d’insuffler un élan de communion irrésistible et salutaire en ces temps de divisions insensées.
Gageons que 2025 nous apportera ce réconfort musical que nous appelons tous de nos vœux. Nous y veillerons !